L'entrepreneuriat : science, art ou acte de bravoure ?

Qu’est-ce que l’entrepreneuriat ?
Cette question, en apparence simple, déclenche une multitude de réponses selon l’angle sous lequel on l’aborde. Est-ce une science rigoureuse, une forme d’art intuitive, ou un acte de bravoure économique ? En vérité, l’entrepreneuriat se situe au croisement de la réflexion et de l’action, entre la méthode du chercheur et l’audace du praticien.

Comprendre cette double dimension enrichit considérablement notre vision et nous aide à mieux entreprendre. Que vous soyez aspirant entrepreneur, formateur, coach ou investisseur, cet article vous invite à explorer l’entrepreneuriat sous un nouvel angle : celui d’une discipline à la fois intellectuelle, créative et profondément humaine.

Dans le monde académique, l’entrepreneuriat est devenu un vaste champ d’étude. Depuis les années 1980, les chercheurs s’efforcent d’en cerner la nature, les mécanismes et les effets économiques et sociaux. Le professeur Morris (1998) a recensé 77 définitions différentes dans la littérature scientifique, tandis que Gartner (1990) a identifié plus de 90 attributs liés au comportement entrepreneurial.

Cette diversité de points de vue traduit une réalité : l’entrepreneuriat est un phénomène vivant, en constante mutation. Il ne se limite pas à la création d’entreprise ; il englobe tout acte de création de valeur nouvelle, qu’elle soit économique, sociale ou culturelle.

Les chercheurs Fayolle et Verstraete (2005) ont proposé une définition devenue référence :

« Une initiative portée par un individu (ou plusieurs), construisant ou saisissant une opportunité d’affaires, dont le profit n’est pas forcément pécuniaire, par l’impulsion d’une organisation pouvant faire naître une ou plusieurs entités, et créant de la valeur nouvelle pour les parties prenantes. »

Cette approche systémique met en lumière quatre piliers essentiels :

• L’opportunité : la capacité à détecter un besoin non satisfait ou un changement porteur.

• La création de valeur : la transformation d’une idée en bénéfice concret pour autrui.

• L’impulsion organisationnelle : la mise en place d’une structure capable de matérialiser l’idée.

• L’innovation : l’introduction d’une nouveauté, d’une différence qui fait la valeur unique du projet.

Ces quatre piliers forment la colonne vertébrale de la recherche en entrepreneuriat et constituent un repère pour les praticiens.

Ces dimensions sont interdépendantes. L’une ne peut fonctionner sans l’autre.
Prenons l’exemple d’un jeune entrepreneur à Ouagadougou qui repère une opportunité : la demande croissante pour les jus naturels. S’il n’a pas les compétences pour structurer une entreprise (logistique, normes d’hygiène, gestion), son idée risque de rester à l’état de rêve.

Inversement, une personne qui sait gérer et produire efficacement, mais qui ne détecte pas les bonnes opportunités, peut peiner à trouver un marché.

Ainsi, la réussite entrepreneuriale exige une interaction harmonieuse entre :

• Identifier — Repérer une faille ou un besoin dans l’environnement.

• Structurer — Mettre en place une organisation capable d’y répondre.

• Transformer — Convertir cette réponse en valeur réelle, tangible.

• Innover — Introduire une nouveauté qui crée la différence et fidélise le marché.

Lorsque ces éléments se conjuguent, ils génèrent un cercle vertueux de création de valeur, bénéfique à l’entrepreneur, à ses collaborateurs, aux clients et à la société dans son ensemble.

Prenons un autre exemple : dans les zones rurales africaines, plusieurs femmes se regroupent pour transformer le karité localement. Elles saisissent une opportunité économique, créent une structure collective, génèrent de la valeur ajoutée locale et innovent par le conditionnement ou le marketing digital.
Cette démarche incarne pleinement la vision académique de l’entrepreneuriat comme moteur de développement endogène.

Pour les praticiens, les chercheurs peuvent parfois paraître trop abstraits. Sur le terrain, entreprendre, c’est avant tout agir, souvent dans l’incertitude.

La règle d’or du praticien est simple :

Tout problème est une opportunité d’affaires.

Cette logique pratique est la source même de l’innovation.

Prenons un exemple concret :
Au Burkina Faso, le problème de la gestion des déchets plastiques est une réalité quotidienne. Là où beaucoup voient une nuisance, certains entrepreneurs voient une mine d’or : ils recyclent, transforment et commercialisent des objets utiles à partir de ce qui était un déchet.

C’est cela, l’essence du terrain : observer, comprendre, agir.
L’entrepreneur ne cherche pas d’abord à gagner de l’argent, mais à apporter une solution utile. L’argent devient alors la conséquence naturelle de la satisfaction du client.

Cette logique change tout :

• Le point de départ n’est plus le profit, mais le service rendu.

• Le succès dépend non pas du capital de départ, mais de la pertinence de la solution.

Un entrepreneur ne se demande donc pas :
« Comment puis-je gagner de l’argent ? »
Mais plutôt :
« Comment puis-je aider, soulager ou améliorer la vie des autres ? »

Et c’est précisément cette mentalité de service et de création de valeur qui distingue les entrepreneurs durables des aventuriers économiques.

Souvent perçus comme opposés, chercheurs et praticiens sont en réalité complémentaires.
Les premiers structurent la pensée ; les seconds transforment la réalité.

• Le chercheur explore, formalise et produit des modèles d’analyse.

• Le praticien expérimente, adapte et prouve la validité de ces modèles par l’action.

Un bon entrepreneur gagne à s’inspirer des travaux de recherche pour mieux comprendre les dynamiques de marché, les comportements des consommateurs ou les modèles économiques innovants. De leur côté, les chercheurs ont besoin des retours du terrain pour ancrer leurs théories dans la réalité africaine.

Cette alliance entre théorie et pratique est cruciale pour faire émerger des solutions adaptées à nos contextes locaux.
Imaginez une collaboration entre une université et une coopérative agricole : les chercheurs apportent leur expertise en gestion durable et innovation, tandis que les producteurs partagent leurs réalités et expérimentent les solutions sur le terrain. Le résultat ? Des modèles d’entrepreneuriat rural viables, reproductibles et profondément enracinés dans le contexte africain.

C’est dans ce dialogue constant entre la tête et les mains, entre la science et l’audace, que se forge le véritable esprit entrepreneurial.

L’entrepreneuriat n’est pas une formule magique, ni une science exacte.
C’est un chemin de création et d’engagement, un équilibre subtil entre rigueur, intuition et courage.

Être entrepreneur, c’est accepter de voir les problèmes comme des opportunités déguisées.
C’est aussi savoir structurer sa vision, transformer ses idées en actions, et créer de la valeur pour soi et pour les autres.

Que vous soyez étudiant, coach, fonctionnaire ou artisan, retenez ceci :

L’entrepreneuriat, ce n’est pas seulement gagner de l’argent, c’est changer la vie — la vôtre et celle des autres.

C’est penser comme un chercheur, mais agir comme un bâtisseur.
C’est allier réflexion et bravoure, méthode et passion, savoir et terrain.